mercredi 31 mai 2017


2 ième épisode


Carero Blanco


"Un travail d'artistes" a-t-on dit partout, minuté à la fraction de seconde. Lorsqu'ils avaient loué vers le 15 novembre un sous-sol au 104 de la rue Coello face au couvent des Pères jésuites où Carero Blanco se confessait et communiait chaque matin -un abonnement comme à Vitatop, il devait avoir beaucoup à se faire pardonner- ils s'étaient fait justement passer pour des sculpteurs.. pour pouvoir se permettre de faire tout le bruit qu'ils voulaient. "Ils emménagent et travaillent dur..." disaient les voisins; de gros bosseurs, courageux, mais souriants et gentils... 

Gros bosseurs, oui ! Et des pro. Durant cinq semaines ils ont creusé un tunnel de 60 cm de diamètre jusqu'au milieu de la rue, entassé le déblai au coin d'une pièce dans des sacs, dressé au bout du tunnel une voûte de trois barres d'acier pour empêcher la chaussée de s'effondrer et finalement déposé délicatement dans la cavité 50 kilos de TNT et fermé la gueule au ciment pour diriger le feu. Vers 7 heures du soir, le 19 décembre, deux hommes en salopette bleue vinrent poser 45 mètres de fil sur les façades des immeubles. "C'est pour les téléphones?" demande un concierge. -Non, pour l'électricité..." Ah bon. Dodo.

Le lendemain, une heure avant l'attentat, ils reviennent avec une mallette (!) et une échelle, l'adossent à un mur, à 70 mètres du 104, l'un y monte, de là, il pourra prévenir son compagnon de l'approche de la voiture et pour être bien sûr de ne pas se tromper d'une seconde [et tout arrêter en cas de bouchon], ils tracent un trait rouge vertical sur le mur du couvent en face de la charge (!) et un grand "C" (!) de l'autre côté près de la fenêtre du 104.

9 h 30. L'escorte de Carero Blanco, [communion faite donc "fin prêt"] sort de l'église, roule quelques mètres à peine et... une gigantesque explosion retentit dans tout le quartier. Le Révérend Père Turpin qui lit calmement son bréviaire au 3ième étage voit passer devant sa fenêtre une grosse voiture noire (2 tonnes) et croît avoir forcé sur le vin de messe tandis que dans sa cellule, le Révérend Gômez Acebo, plus pragmatique, court avec les saintes huiles soutane à l'air pour administrer l'extrême-onction aux mourants. Merci Jésus, de mourants, il n'y a point! du moins dans la rue, mais des débris et un cratère.. de 15 mètres de long, 10 de large et 4 de fond qui la barre. Écrasée contre l'église, la voiture d'escorte habituelle (un seul blessé, léger. Miracle? Non, la charge a parfaitement été dirigée.) Tout va bien, enfin presque. Re merci Jésus. Mais.. ?

"Mais où est l'amiral ?" se demande-t-on une fois les esprits -relativement- calmés. Sa voiture n'est plus là. Il a dû passer avant l'explosion, non, je viens de la voir, mais alors? Personne ne songe à lever les yeux pour chercher un mastodonte de deux tonnes, Allah Jésus est grand mais tout de même, il ne peut pas s'être envolé.? Si. C'est au niveau du 3ième étage mais à l'intérieur du couvent (!) que la Dodge Dart blindée (2,3 tonnes) pliée en deux comme une vulgaire chemise domine piteusement le jardin. Une superbe parabole, elle a été projetée à plus de 30 mètres, éraflé la corniche presque sans l'abîmer, frôlé le clocher.. et terminé son vol à l'intérieur en s'écrasant sur la terrasse qui le contourne. Qui a parfaitement résisté à cet atterrissage imprévu de bagnole dans les plans d'architectes, les Jèzes bâtissent costaud. Parfaitement calculé. En dessous, le tabernacle est intact.

Trois corps gisent dans le mastodonte humiliamment rétréci, Dies irae, vanitas vanitatum, vulnerant omnes, ultima necat* etc.. Carero Blanco; son garde du corps, profession lucrative mais périlleuse qui nécessite un impitoyable triage des impétrants et son chauffeur (idem). Au sous-sol du 104, on ne retrouvera que des disques révolutionnaires, quelques oranges (!) et 200 sacs de gravats méthodiquement rangés le long d'un mur. Depuis les touristes viennent nombreux se rendre compte.


* "Toutes [les heures] blessent, la dernière tue", sinistre formule apposée par les latins devant les cadrans solaires.